Le détroit de Messine

Le lundi 23 février nous étions à Milazzo, dernier port sur la côte Nord sicilienne avant le détroit de Messine. Pour passer le détroit de Messine il faut savoir que c'est une zone soumise à des marées et de ce fait des courants de marée. Il faut donc calculer à quel moment de la journée passer le détroit afin d'avoir un courant accompagnant Nord-Sud et non être face à un courant contraire. Les marées de Messine sont indirectement liées aux marées de Gibraltar. Nous savions donc qu'un courant Nord-Sud commençait 4h30 après la pleine mer de Gibraltar. Je ne me rends pas compte si je vous parle trop technique, je vais essayer de mieux vous l'expliquer. Les océans sont, du fait de l'eau qui les rempli, soumis à des déformations. Ces déformations sont dûes à l'attration qu'ont la Lune et le Soleil sur la Terre. Vous savez certainement que les planètes "s'attirent" les unes les autres. Donc imaginez par exemple qu'a un moment donné la Lune et le Soleil soient dans le même alignement et "attirent" toute la masse de la Terre vers eux. Les continents ne vont pas être réelement sensibles à cette attraction, néanmoins les océans, l'eau le sera. Suivant la quadrature des planètes les unes par rapport aux autres, soit la mer se retire, soit la mer se rapproche des continents. Ayez vraiment en tête le fait que la terre, sur ses parties immergées, est déformable.

Un peu plus technique maintenant... La mer Méditerranée est trop petite pour être soumise à des marées. Il n'y a pas une assez grande masse d'eau pour qu'elle "bouge" réellement. Cependant, il y a des différences de niveau entre la Méditerranée et l'Atlantique. Il y a des seuils, dont Messine et Gibraltar. Imaginez une sorte de palier de porte. A cause du seuil, l'écoulement de l'eau Atlantique dans la Méditerranée est rythmé par les marées auxquelles est soumis l'Atlantique. Messine est le seuil qui sépare les deux bassins de la Méditerranée, Occidental et Oriental. Imaginez que l'eau commence à remonter en Atlantique (on appelle ce phénomène le flot). Alors un courant Ouest-Est entre à Gibraltar et 4h30 plus tard, on le ressent à Messine. A Messine l'eau s'écoule alors du Nord au Sud.

Bon, on avait tout calculé. Il fallait qu'on soit dans le détroit entre 11h et 17h. On part le matin de Milazzo. Je ne la sens pas cette navigation. Je n'ai pas envie d'y aller. Il y a des grains de pluie dans les environs de Messine et sur la côte italienne. Je n'arrive pas à savoir si ce pressentiment est dû au fait que j'ai peur de passer Messine ou si la météo est réellement limite. Je sais qu'il y a un port par contre sur la côte italienne qui s'appelle Bagnara et qu'on peut y aller. On nous a dit que c'était un bon port mais j'ai peur d'aller là-bas car un coup de vent d'Ouest est annoncé pour dans 2 jours et je n'aime pas être sur la côte ouverte au vent. On y va quand même. Tout le monde nous l'a dit, la seule chose dangereuse dans le détroit, c'est s'il y a du vent contre le courant, parce que si c'est le cas, une mer énorme et très cassante se lève. On a un vent de Nord-Ouest, tout bien, dans le sens du courant qu'on va prendre. Le courant de Messine on le ressent bien avant le détroit, le Bag-Vian file à grande vitesse! Arrivé aux portes du détroit un grain de pluie et d'orage déboule des montagnes siciliennes. Un gros vent du Sud commence à se faire ressentir. On a alors notre radio allumée sur le canal 16, canal de référence pour passer des messages en mer. Les gardes côtes annoncent alors de fortes bourrasques, un hélicoptère nous tourne quelques fois autour. Messine se refuse à nous. Avec Jean on est un peu pris de court, que faire? On attend 30 minutes en faisant des ronds dans le vent et sous des trombes de pluie. Rien ne change. Il faut prendre une décision. On part sur Bagnara, le port de la côte italienne. Trempés, on arrive au port où il n'y a pas grand chose. Les pontons ont été enlevé pour l'hiver, il y a des bateaux de pêche. On est triste de ne pas être à Messine mais on se croit en sécurité. La première nuit se passe sans encombre. Puis va arriver le coup de vent d'Ouest. Cette nuit a été une des pire. On a pas fermé l'oeil. Des vagues de 4 mètres venaient du large se briser contre la digue du port. Une houle secondaire de plus de 1m rentrait dans le port, le Bag-Vian était tiré d'un côté et de l'autre par cette horrible mer. A 1h du matin on sort sur le pont avec Jean pour ré-amarer au mieux le bateau. Une vision d'enfer. La mer noire, déchaînée, de trombes de pluie. On a la crainte de se retrouver écrasés sur le quai. On prie pour que le jour se lève et que le vent ne monte pas, par pitié que le vent ne se lève pas. Au matin, le Bag-Vian se porte mieux que nous. Le pire est passé.

En conclusion, il n'y a qu'une personne à citer je pense. C'est Jean-François Deniau qui dit très justement:

"Quand on a accompli quelque chose d'heureux en mer [...] c'est d'abord parce qu'on a évité de faire ce qu'il ne fallait pas faire. C'est ensuite parce qu'on a fait ce qu'il fallait faire. C'est enfin parce que la mer l'a permis."